Interview de Serge LAÏRLE, Entraîneur professionnel et Consultant du rugby, sur le devenir de la mêlée dans notre rugby moderne.

 

La mêlée est une des phases bien spécifiques de notre sport. Cependant, elle semble devenir le boulet du Rugby à XV moderne. Pourquoi tape-t-on sur la mêlée d’après vous ?

La mêlée apparaît de nos jours comme le fléau du rugby moderne. Perte de temps de jeu pour certains ou porteuse de tricheries pour d’autres… Malheureusement elle est souvent décriée à partir d’analyses trop subjectives. Parler de la mêlée cela demande du vécu, de l’expérience, du ressenti.

Les années ont passé et j’ai eu la chance de voir le rugby professionnel évoluer. Que ce soit en tant que joueur, de 1975 à 1990, puis en tant qu’entraîneur et intervenant dans les stages d’arbitres, mon but est d’amener une vision à la fois interne et externe de cette phase de jeu. Pour comprendre la mêlée, il faut y avoir mis le nez dedans. Le constat premier dont je peux vous faire part, c’est que la mêlée a évolué dans le bon sens.

Vous qui avez vécu la transition entre le rugby amateur et le rugby professionnel, quels sont les points positifs ou négatifs de l’évolution de la mêlée ?

Le nombre de mêlées a diminué de moitié sur les 40 dernières années, il y avait près de 50 mêlées dans un match alors qu’en finale du TOP 14 2012 seulement 24 ont été ordonnées par l’arbitre dont 6 rejouées.

Dans les années 70, les joueurs étaient très indisciplinés, les plus forts n’étaient pas forcément les plus techniques. Il y avait plus de tricheries que dans le rugby moderne, On attaquait les mêlées en « bélier » (coup de tête) alors que ce n’était plus autorisé et les protège-tibias étaient indispensables car tous les joueurs de premières lignes talonnaient. Il était très déconseillé de s’effondrer car à l’époque les deuxièmes lignes avaient des chaussures à «  bout carré » très résistantes… ils réglaient le problème rapidement ! (rires)

Les arbitres fermaient les yeux, les joueurs trouvaient des solutions internes (mêlée relevée)… c’était l’anarchie !  La provocation et les coups tordus (pommade dans les yeux) faisaient partie du jeu.  Bref autant de récits qui montrent bien une évolution de notre sport. Que ce soit au niveau des joueurs ou des arbitres, nous avons évolué vers un rugby plus exemplaire  et à moindre risque.

Comment caractériser la mêlée moderne ?

La mêlée moderne est propre, il suffit d’appliquer les règles et surtout de bien les interpréter (liaisons fortes et poussées axiales).

La mêlée est une phase de remise en jeu qui nait d’une erreur de l’équipe adverse, c’est une phase de fixation (16 joueurs en mêlée) offrant aux attaquants des espaces plus importants. La défense va chercher à déséquilibrer l’attaque et ceci dès l’introduction en mêlée. Lors de cette phase, le but va être de perturber la qualité de sortie de balle individuellement ou collectivement (mêlée tournée). Une mêlée plus forte doit gagner le combat pour le gain du ballon et uniquement cela.

Pourtant les opposants à cette phase de jeu estiment que la mêlée est une perte de temps.  Finalement, est-ce que cette phase, où les joueurs prennent le temps de se lier et de se pousser, n’est pas un frein à un jeu plus dynamique et plus spectaculaire ?

Certains médias ou techniciens du rugby pensent que la mêlée nuit au spectacle en diminuant le temps de jeu effectif. Les statistiques de la dernière finale du TOP 14 font apparaître une influence faible sur le match. On a compté environ 7’ de mêlées avec les 6 mêlées rejouées (2’51/4’16). A titre de comparaison, le temps passé sur les pénalités  a été de 18’25’’ (12’01/6’24). Il serait  intéressant de comparer aussi avec le temps perdu dans des regroupements improductifs dont le seul but est la conservation du ballon (en moyenne 150 rucks ou « pick and go » par match).

Je crois que c’est un faux problème qui masque les difficultés du rugby moderne dans le secteur offensif. Les règles favorisent trop la défense, les techniciens le disent chaque année mais le législateur ne veut pas l’entendre.

 

Vous qui êtes intervenant auprès des arbitres, quels outils ont les arbitres pour rendre ses clés de noblesse à la mêlée que vous défendez ?

Il ne faut pas oublier que la mêlée est une phase de jeu à risque, la priorité est la sécurité du joueur et non le confort de certains. Les instances fédérales ont travaillé dans ce sens depuis de nombreuses années, notamment avec l’académie des 1èreligne, en soulignant la responsabilité de chacun : dirigeants, arbitres, entraîneurs, éducateurs, joueurs.

Les commandements de l’arbitre correspondent à des actions réalisées par tous les joueurs qui composent la mêlée fermée. Cette année, ils devront les faire en 3 temps au lieu de quatre et cela ne changera pas grand-chose techniquement. Dans tous les cas, les entraîneurs doivent codifier ses organisations individuelles et collectives qui précédent l’entrée en mêlée, il faut être méthodique et discipliné.

Pour les arbitres, si un joueur triche il doit être vu. Avec deux yeux, c’est impossible ! Avec  six yeux, c’est mieux ! Et avec la vidéo encore mieux ! Pour exemple, l’analyse de la finale 2012 « Toulouse-Toulon »  a mis en évidence la volonté des joueurs des deux équipes de rompre les liaisons pour accentuer les déséquilibres. C’est ce type de phase que les arbitres doivent détecter et sanctionner.

Didier Mené a annoncé une plus grande sévérité, mais en fait qu’est ce qui pénalise le plus une équipe ?

Le carton jaune est sans hésité la sanction la plus efficace, elle pénalise une équipe qui doit jouer à quatorze, le joueur est sous la menace d’un carton rouge à son retour sur le terrain. Il est difficile d’utiliser une telle sanction dès la première mêlée, je pense que le Coup franc peut être appliqué rapidement car il permet à l’équipe qui en bénéficie un gain de terrain conséquent si le ballon est joué rapidement.

Quel est l’avenir de la mêlée en France, vu que les autres nations y portent peu d’attention ?

Nous devons protéger la mêlée française, c’est une force au plus haut niveau et surtout notre formation est très en avance sur les autres nations. Dans l’hémisphère sud, elle est plus considérée comme une succession de combats  individuels que comme une organisation rigoureuse pour un combat collectif. D’ailleurs, elle a été peu arbitrée à lors des rencontres de la Coupe du Monde 2011.